EXPOSITION conçue et réalisée par Sylvie Pohin jusqu’au 3 février 2018
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5143 Héraclès : fragments célestes
REMIX PHOTO PIGMENT PEINTURE CÉRAMIQUE COMPOSITION SONORE VIDÉO GÉANTE LIVRE PEINT
Oeuvres de:
Eizo Sakata Peintre
Anne Slacik Peintre
Sylvie Pohin Plasticienne
Marianne Chanel Plasticienne
Sylvie Barbara Céramiste
Jules Carayon Compositeur
Eric Amblard Photographe
Evénements à HCE Galerie pendant l’exposition
Le samedi 13 janvier à 16h interview de Sylvie Pohin et Eizo Sakata
lecture de poèmes de Valérie Rouzeau, extraits de Télésco-pages , par la comédienne Maria Iracane
Valérie Rouzeau joue avec les mots et la science en faisant se téléscoper les univers
“Il tombe de la matière primitive à verse / et chacun va faire son amour où il pleut / la route est belle de la terre jusqu’au Ciel”
Le samedi 20 janvier à 16h “Méditation cosmique” avec le derviche Omar, en hommage aux artistes de l’exposition
Danse et lecture de poèmes de Rumi
Récitante : Nadia Guerbas, poète, Saint Denis
La danse des derviches tourneurs est intimement liée à la poésie de ce grand mystique persan né en 1207 dans le khorason iranien, Jalâloddîn Rûmî. Il a écrit des ghazals, des milliers de vers qui comme des atomes tournent autour d’un pôle qui est une place vide, celle laissée par la disparition du maitre total et tant aimé, Shamsoddin de Tabriz .L’ Amour en est le centre ardent, la poésie en dit l’attraction, l’appel, l’arrachement aux petitesses du moi, l’emportement dans un mouvement charnel et spirituel.
Le derviche tourne comme la terre autour du soleil, il est en osmose avec l’univers en suivant le mouvement des planètes, du côté gauche, du côté du cœur. Il est dans le rayon de lumière du Bien aimé et du Dieu qui s’ouvre à lui, se laisse connaitre par ses noms, invoqués jusqu’à l’extase, en appelle à une union totale.
Cette danse est un hommage aux artistes et à leur travail présenté dans cette exposition. Ce mouvement qui signifie que l’amour est autre chose qu’une passion humaine, qu’il emporte des secrets qui sont le tout de l’existence jusqu’à l’intime du cœur où git l’essentiel secret : celui de l’éveil de l’amour, du comment on s’éprend, du comment on s’unit et se sépare, ce mouvement peut nous faire « tourner » autrement dans cette exposition qui, à travers la rotation des corps célestes et les mouvements des œuvres, pose bien la question de « comment ça tourne tout cela ! »C
Lire: Eva de Vitray-Meyerovitch, Mystique et poésie en Islam et l’introduction de Christian Jambet à ses traductions de Rumi “Soleil du réel”
le samedi 27 janvier à 16h, inauguration de Terres de Rencontres, projet artistique commun à Saint Denis et Pierrefitte
le samedi 3 février à 16h clôture de l’exposition; HCE fête 2018
Textes HCE sur les artistes
Trajectoires de Sylvie Pohin. Métamorphoses et incarnations des pierres tombées du ciel.
Du pigment au pixel
Accrochés très haut, les tableaux semblent tomber du ciel comme une pluie de météorites. C’est tout l’espace de l’infini cosmique qui nous arrive, depuis des myriades de corps célestes arrachés aux conflagrations de l’univers, de poussières d’étoiles éclatées, de gigantesques tourbillons. Cette matière des sidérants lointains de l’espace et du temps est inédite et nouvelle, inconnue dans notre croûte terrestre, elle défie toute idée de production, d’engendrement, et même si elle est constituée des mêmes atomes ou particules que les nôtres, elle semble bien être coulée dans l’au delà du monde
Sylvie Pohin travaille à plat et la matière picturale qu’elle applique avec d’impétueux mouvements de brosse semble bien choir de haut sur le papier, à l’image de cette matière céleste venue des étoiles. Elle s’y étend sans que s’éteignent ses rayonnements, ses attracteurs, ses forces gravitationnelles, elle se distend, se condense et s’absorbe dans les fibres du papier. Les liserés noirs, vestiges des combustions dans l’atmosphère, ouvrent l’espace à l’épanchement, au glissement et l’invagination de courants affolés .Ce flux de peinture et de pigments cherche sa mesure terrestre et un plan d’apaisement
Et puis elle sèche et révèle les surprises de la décantation, laissant apparaître des cristallisations, des concrétions déposées, sédimentées en fines couches que le glacis n’a plus qu’à homogénéiser, les vestiges des paysages traversés aux confins du monde connu. La déclinaison des atomes, les étendues froides dans le parage des comètes, les tourbillons et les grands vents interstellaires, les mirages dans les déserts, l’incandescence des nébuleuses, tous les aérolithes mentaux qui traversent la tête quand elle est dans les étoiles. Cette peinture se regarde de loin, elle nous donne une autre mesure du monde, et aussi de très près, tellement l’infini et la démesure du monde s’y font proches
Ces cailloux venus du ciel poursuivent leur odyssée d’être pierre et leur « incarnation » dans l’espace de l’exposition. La vidéo et le savant travail des modélisateurs numériques les transforment littéralement en « corps célestes », avec des formes, des volumes et des mouvements, mais surtout une peau, bien « mappée » autour de la pierre, une surface qui enregistre tout ce qui peut affecter ces corps dans leur espace ; les cavités, les impacts, Les heurts et les chocs laissent des cratères qui sont aussi des cicatrices, des fractures, des amputations, des excroissances. La création numérique prend le relai du geste pour approcher les inconcevables affects des corps en mouvement dans l’espace : la façon qu’ont les astéroïdes de se choquer dans leur ceinture, le caprice inouï qui les pousse à sortir de leur trajectoire pour menacer la course bien réglée des planète sur leur orbite, leurs étranges mouvement d’attraction et de répulsion dans l’espace, leurs affinités électives…Tout l’art que la peinture classique a mis dans la traduction des signes déposés à fleur de peau sur un visage doit aujourd’hui trouver son équivalent dans l’art numérique : la gestion des pixels, les jeux de l’ombre et de la lumière, la netteté ou l’estompé des contrastes débouchent sur la création d’une réalité virtuelle, d’un tout en devenir, celui de l’intimité minérale du cœur de pierre ou de la peau des pierres…Avec une patience infinie et une exigence incroyable d’hyperréalisme Sylvie Pohin donne à ses « graves » la surface transparente d’une peau quasi photographique, un équivalent du glacis de la peinture classique. Ses roches en deviennent émouvantes, à force de se faire miroir et métaphore du cours inéluctable des choses, de tout ce qui nous atteint et nous affecte.
Les estampes numériques prolongent ce travail de métamorphose et d’incarnation des astéroïdes en les intégrant dans l’étoffe du sensible et des territoires de pensée, ne serait-ce qu’ en leur donnant un nom-Phaéton, Sisyphe, Hypnos, Jason…-qui les fait graviter dans les différents patrimoines de l’humanité, les grands récits mythologiques où les humains ont depuis la nuit des temps projeté leurs peurs et aspirations. Dans ces pierres ressaisies par la création numérique se rejoue le rapport de la matière à l’âme, du minéral et du vivant, la menace constante de se retrouver pétrifié dans son existence. Les pierres du ciel, de même que les pierres terrestres sont tourmentées comme la chair.
Ainsi en est –il de ce « Jason » : Ainsi nommé l’astéroïde fait dialoguer la préhistoire, la cosmologie, la mythologie, la minéralogie …dans le vertige de l’infini. Des esquisses de peintures rupestres voisinent avec des végétations de corail .Des dendrites dessinent d’étranges arborescences ; Des torses de héros semblent sortir de carrières ou des fonds marins. Des zones métalliques évoquent les nerfs d’acier et le moral de fer de tous ces Argonautes qui avec Jason partirent à la conquête de la Toison d’Or, affrontant des écueils invraisemblables comme ces rochers vivants qui s’ouvrent et se referment sur les navires qui s’y aventurent, Les Symplégades. Jason les franchit en suivant une colombe magique qui s’y faufile ! Ne serait ce pas cet oiseau noir qui émerge plusieurs fois de la roche ? Et toutes ces pierres qui constituent ce Jason semblent bien s’être refermées définitivement sur elles mêmes comme le firent les Symplégades après le passage du héros. Jason a traversé des espaces sidéraux dont il porte les empreintes mais aussi des espaces de légendes, au sens propre du terme, des espaces à lire. « L’univers c’est un livre et des yeux qui le lisent » disait Victor Hugo. Jason est lesté de ce pouvoir visionnaire, sa « matière »porte une extraordinaire « richesse phénoménale »mais aussi des virtualités indéfinies que la création numérique « actualise » avec le plus grand souci d’authenticité.
Eric Amblard /Véracité de la photographie
Nous ne sommes pas abusés : c’est bien une pierre qui est photographiée, arrêtée dans sa chute ou en lévitation et qui dans le contexte de l’exposition se donne à voir comme une météorite. Il n’y a aucune retouche ou aucun montage pour laisser penser à une manipulation. Sur cette pierre aucun « Château des Pyrénées » pour en faire une fiction de l’imaginaire .L’illusion est totale, aucune ficelle n’est là pour suggérer qu’on s’est joué de nous.
Quand il part en chasse de météorites sur la plage de l’ile de Ré, Eric Amblard est un peu comme le peintre qui emporte son chevalet pour travailler « en plein air », il s’arme de patience et s’absorbe dans le paysage, en quête précisément de l’air, de ses jeux dans le vent et les souffles, de ses turbulences et remous, de l’atmosphère où les choses respirent. Il ne suffit pas de rencontrer la pierre dans sa flaque d’eau laissée par la mer, dans son scénario de miroir et de reflets changeants, de la saisir dans la bonne lumière et dans l’angle de vue pour qu’autour de cette pierre l’illusion prenne et que s’esquisse une architecture, une charpente de l’impalpable et de l’invisible. Il s’en remet à la nature, la « grande artiste », à son travail d’association et de synthèse, au moment favorable où l’impossible prend forme. La lumière a le temps de s’incorporer dans tous les éléments de la scène, dans les nuages et le ciel reflétés à la surface de l’eau, dans les couleurs mouillées de l’espace ambiant où se confondent le ciel et la terre, hauteur et profondeur. Le regard de l’artiste s’imprègne de ce flux sensible de couleurs et de lumières, de masses et de reliefs, de textures du sol, d’une harmonie aérienne et vaporeuse si prenante qu’elle gagne la pierre elle-même et le monde qui la porte. Elle semble alors flotter en apesanteur. La photographie capte cette virtualité de la pierre arrêtée, de suspension de sa chute, quand elle n’est plus soumise à la gravitation et que les lois physiques du monde sont aussi suspendues.
Le photographe fixe un instantané de cette réalité virtuelle, de ce qui n’est pas mais pourrait être, de ce qui n’existe qu’en puissance. Il en risque une image, à l’extrême limite des déterminations factuelles de l’ici et du maintenant, comme il le ferait d’un visage dont on percevrait l’âme dans un instant inoubliable et ultra- rapide. La photographie a ce pouvoir de laisser subitement émerger des variations infinitésimales, des richesses intérieures et secrètes : ici une pierre en lévitation à la hauteur des yeux dans un monde qui a perdu toute échelle et toute mesure, toute perspective pour ne laisser transparaître que son essence aérienne et subtile, un monde de pure apparition, un lieu d’épiphanie pour une météorite dont la vitesse est tellement relative aux univers traversés qu’elle peut paraître arrêtée dans celui-ci, infiniment proche et lointain.
Pas de doute possible : la réalité de ce monde est garantie par un dieu très vérace, l’œil d’Eric Amblard.
Abstractions de Marianne Channel
Marianne Chanel pourrait sortir d’un roman de Borges, d’un récit comme « le jardin aux sentiers qui bifurquent ». Le gouverneur Ts’ui Pên ne quitte son pouvoir que pour rêver d’un labyrinthe où tous les hommes se perdraient avec ou sans fil, un labyrinthe qui n’est pas une construction, qui serait l’existence humaine elle-même, confrontée à l’éternel retour du même qui se rejoue à d’autres niveaux de possibilités .Les événements tombent et roulent comme les dés et de ce coup de dés d’autres combinaisons auraient pu surgir ; les Parques qui tissent et coupent le fil de la vie peuvent s’embrouiller et multiplier les fils, nous assurer plusieurs destinées. Marianne Chanel remet donc en jeu ses créations et les événements qui ont affecté sa vie d’artiste, elle en libère l’énergie virtuelle en les relançant sur les cercles du hasard et leurs orbes excentriques
Dans la main de l’artiste les fils du destin se sont affolés dans le vertige des combinaisons, faisant « revenir » des images, des spectres, des revenants, autant d’œuvres qui sont autant de façons de broder à partir d’impacts, de points et de fils qui vont courir d’un point à un autre de manière enjouée. Dans bien des cosmogonies le monde est tissé plus que fabriqué.
Le premier revenant est de taille, c’est un rhinocéros sorti de l’atelier voisin, d’un photographe animalier et immédiatement replongé dans le monde de la peinture, celle de Dürer, pour apparaître et disparaître sous un simulacre de chute de météorites. Il en devient quasiment céleste, possédé jusqu’à la pointe de la corne par le rêve de s’assimiler à l’unicorne et de rejoindre au firmament la constellation de la licorne. Un fil malicieux le ramène sur d’autres murs de l’exposition, dans l’espace d’un tableau et d’estampes numériques : Quelques vigoureux coups de brosse impriment les lignes de force de cet animal prêt à bondir et à charger entre les murs.
Celles-ci épousent alors les lignes de l’agate : sur ce fond de pierre laiteuse et ses enregistrements de cercles et d’ondes, l’animal, rassemblé dans ce diagramme de forces, découvre l’aisance, l’invitation à l’envol, à la transparence.
Une extraordinaire vidéo en hommage à l’invention du cinéma « Marianne Chanel fait son cinéma » donne les clés de cette création poétique et ludique : un fil court dans des nuages de points, filant tantôt un combat de boxe, un escargot, une vague, une robe qui tue, une robe qui pourrait être tout autant une mitrailleuse, et puis se « défile », tout cela dans un étrange « défilé » des coutures du monde.
A l’image de Miles Davis qui cherchait sa « note bleue », l’artiste se cherche un point, le point à l’origine de la création, son « point gris » ce qui « point » dans le chaos, comme on dit du jour qu’il point, en se décidant entre obscurité et lumière. Ses tableaux évoluent dans un prisme qui va du noir au blanc et toute une gamme de gris « Établir un point dans le chaos, écrit Klee, c’est le reconnaître nécessairement gris en raison de sa concentration principielle, et lui conférer le caractère d’un centre d’où l’ordre de l’univers va jaillir et rayonner dans toutes les dimensions. » C’est toute une dynamique du point, de la ligne et du plan qui engendre une géométrie sombre de trames, de repères orthonormés , de cribles, de matrices, de diagrammes, qui porte des ébauches de paysages ou d’univers constellé. Les mailles retiennent encore les couleurs et leur exhalaison. Seules s’échappent des lumières ocre, primitives qui ne font qu’accréditer l’aspect spectral de toutes ces figures qui ne cessent de revenir du fond de la peinture, de la « dark matter » et d’alimenter ces tableaux in nucleo.
Les tableaux de pluie de Eizo Sakata ; Fragments du ciel
La pluie tombe du ciel sur une terre qui l’attend. C’est un peu la rencontre du ciel et de la terre. Les gouttes de pluie rassemblent tous les transferts qui ont lieu entre Terre et Ciel, et l’ésotérisme va jusqu’à proposer « Dieu envoie un ange avec chaque goutte de pluie ».De manière plus prosaïque Eizo emporte depuis quelques années partout où il va son kit pour enregistrer, relever cette rencontre : un carré, des pigments où la pluie va laisser ses empreintes, faire œuvre. Des tableaux de pluie donc, faits par la pluie, auxquels il ajoute la photo satellite de Meteosat qui donne le contexte météorologique du jour et de l’heure. L’artiste fait le « relevé » et laisse à la nature le soin d’assurer la « relève » de l’art. Il lui appartient de se rendre disponible, de s’imprégner de la situation offerte par l’attente de la pluie, d’en saisir le potentiel et de l’infléchir progressivement selon « la pente de la rêverie » qui est la sienne. L’eau ne cesse d’ondoyer et de s’écouler le long de lignes poétiques, elle est le mouvement même de l’émotion, son bruissement s’insinue à fleur de peau.
En tombant la pluie laisse sur les pigments des éclats irisés de lumière, des étoiles, comme si elle se souvenait du ciel et voulait le reconstituer sur terre. Ce que fait très bien le tableau dont le bleu intense ménage une fenêtre ouverte sur le ciel et l’infini cosmique des constellations. Le jeu des subtiles réverbérations sur les minuscules granulations fait passer un mouvement à la surface, des frémissements de pétales, des vibrations de cellules ou de méduses dans un monde évoquant d’autres infinis, ceux de fonds marins ou de visions au microscope.
Chaque tableau de la série renouvelle l’expérience de la collecte de ces éclats, vestiges d’une présence tellement éclatante qu’elle ne peut apparaître qu’en se perdant dans ses éclats, dans les variations de ses éclats. De cette présence qui se donne ainsi, on ne peut rien dire, sinon qu’elle comble le désir de peindre de l’artiste, qui peut alors se retirer, s’éclipser derrière la manifestation de cette grâce inexprimable et la présentation de l’impossible.
Eizo est un artiste malicieux, trop heureux de cette trouvaille pour se préoccuper des arrière- mondes, de métaphysique ou même de symbolisme: c’est bien un don du ciel qu’il recueille avec un humour dont il a le secret, qu’il a cueilli comme une fleur du destin, la grâce diffuse dans un espace temps favorable dont il a saisi le potentiel, les ressources et la source du plaisir, qui se laissent piéger sur la toile avec cet « éclat du rire » bien à lui, diffusé sur la toile par touches, par éclats, par infimes secousses. Surtout ne pas en faire trop, ne pas charger et surcharger, gâcher cette présentation de la grâce du moment présent, de ce qui vient à lui de manière presque naïve, avec ce quelque chose de l’enfance. Cette grâce n’habite pas les hauteurs du sublime et les profondeurs insondables, mais elle n’a rien de puéril ou de niais, elle est touchante dans l’éparpillement de ses touches. Elle est à la limite de l’art, une vibration puissante et douce, exigeante et continue qui passe à son rythme avec son cortège de rimes tout au long de cette série, « les tableaux de pluie »
HCE Galerie / Georges Quidet
Sylvie Barbara / Tableau de porcelaine
Le dispositif évoque nos tablettes numériques, ces objets incontournables qui à force d’être utilisés, en ont perdu tout esprit. L’artiste lui redonne une âme, une « antiquité » en le variant à plusieurs reprises : un petit rectangle en papier de soie sur lequel est coulée une mince couche de porcelaine ; à l’arrière une lampe distribue une lumière qui s’étend sur cette plaque translucide ; gravés sur la porcelaine des points et des lettres reliés par un fil de métal dessinent des constellations et font apparaître des légendes, des textes à lire, échappés du livre voisin de Sylvie Pohin ; au bout du fil de métal que l’on suit pour lire la légende, une sentence illustre dans notre tradition, une étiquette gravée donne le nom de l’auteur, Ptolémée, Victor Hugo, Borges…
Sylvie Barbara s’est prise au jeu dans ce travail surprenant au point de passer outre les limites qui séparent l’art, l’artisanat, le jeu. Dans son planétarium elle s’est laissé magnétiquement orienter par plusieurs tropismes dont elle subit la chimie.
La première attraction lui vient de la céramique, de l’engouement pour l’argile, de cette matière qu’elle doit tirer pour y amener la lumière, qui même lisse garde la pression des mains et s’imprègne de vie. C’est cette argile translucide, la porcelaine, une matière fine et fragile qui doit porter les étoiles, prendre la place de l’airain au firmament, et porter quelques phrases bien frappées pour passer à la postérité, des sentences « glorieuses ».
La fascination des tablettes sumériennes s’ancre dans cette matière résistante et friable, cuite ou séchée qui a fourni le support pour les premières traces d’écriture, au tournant des IV et III èmes millénaires. Un siècle et demi d’efforts et de trouvailles archéologiques en ont sorti une quantité impressionnante, qui nous convoient l’écho des voix d’outre-tombe et les messages de nos ancêtres en écriture.
Les points énigmatiques de cette écriture cunéiforme font écho à ces autres points gravés dans la voûte céleste, à ces entailles qui laissent passer la lumière de l’au-delà, les étoiles. Si les constellations commémorent les héros et événements pour l’éternité et si les cieux, comme le dit Pascal « racontent la gloire de Dieu », il y a lieu de rêver que les étoiles, si on apprend leur langage mystérieux, brodent la nuit les sentences qui nous vont droit au cœur. Les deux Sylvie, Sylvie Pohin et Sylvie Barbara se sont entraînées à déchiffrer « le message des étoiles » à la suite de tous ceux qu’elles citent .
On se laisse absorber par cette œuvre, on est dans l’intimité de la matière céleste, à la tangence des mondes, dans le silence où se met en orbite un message, entre le ciel, le pays de « l’entre deux fleuves » et notre microcosme intérieur : « Notre amour est réglé par les calmes étoiles ».C’est Apollinaire qui nous le souffle, son âme errante attirée en ces lieux.
HCE Galerie / Georges Quidet