Le ciel, demeure de notre esprit
Ainsi a été identifié par une astronome américaine de l’observatoire du mont Palomar un astéroïde qui, sans vraiment nous menacer, frôle la trajectoire de la Terre tous les deux ans et demi depuis la nuit des temps. Des programmes de détection très sophistiqués ont pris le relai des mages et augures pour surveiller la course vagabonde de cette petite planète, « astre errant » parmi d’autres qui titube dans notre système solaire et file avec d’incroyables mouvements de torsion sur elle-même. Il nous taquine, on l’a à l’œil, on le surveille et il nous traverse comme le font tous les objets du ciel. Il nous rappelle que nous vivons une vie céleste dans notre vie terrestre. L’esprit habite le ciel. Dans la contemplation il est toujours dans ce « templum », ce rectangle découpé dans le ciel où les augures prenaient les auspices. Il est avec les astres, les « sidera » dans ses « considérations », et aussi dans la « sidération » et son envers, le « désir » qui permet d’en sortir. La raison, à l’image du soleil, nous éclaire de sa « lumière naturelle » qui dissipe l’obscurité de la nuit et de l’ignorance. Des fulgurations zèbrent notre ciel intérieur comme le fait la foudre. Les constellations du ciel mettent au firmament les grands récits et mythologies, toutes les sentences que la main des poètes met sur une orbite éternelle…
Accueillir les confluences du ciel
C’est cet ensemble de « météores », de phénomènes qui se produisent dans l’atmosphère et leur substance céleste, la «fluence du ciel » que les murs de HCE Galerie s’apprêtent à accueillir. Jusqu’au XVII ème siècle La tradition utilisait le terme fortement chargé d’influence pour évoquer cette substance qui littéralement « coule » du ciel pour irriguer la tête et les veines créatrices, frapper voire pétrifier les esprits ou au contraire les rendre aériens et subtils, les mettre en feu, une matière qui aurait l’esprit des quatre éléments. Boileau le souligne encore, dans son manifeste poétique de la raison classique : le poète ne peut aspirer aux hauteurs du Parnasse « s’il ne sent point du ciel l’influence secrète ».Sylvie Pohin a vigoureusement organisé l’espace de l’exposition dans la verticalité pour y diffuser l’influence, les fluences du ciel, avec des tableaux qui puissent rivaliser avec des météores, des manifestations de lumière ; ses « cailloux » célestes viennent du très haut du ciel et nous tombent dessus, avec une matière picturale qui a les apparences des amas galactiques et qui selon les angles de perception et éclairages sera fluide ou terreuse, aérienne et nébuleuse, braise ardente .Sa peinture est comme le déploiement d’un planétarium intérieur où les choses qu’elle investit, cailloux, oiseaux ou plantes, mais aussi sentences et formes se mettent à graviter sur une orbite.
Des constellations, broderies et coutures du ciel
Les œuvres de Marianne Chanel se regardent elles aussi dans la verticalité, dans la dimension ascendante plutôt, celle d’un objet terrestre prêt à rejoindre le ciel. Son rhinocéros sort de la peinture de Dürer, protégé par sa cuirasse de cette chute de météorites, mais c’est aussi un animal mythologique, un « unicorne » proche parent de la licorne. Le geste taquine la matière subtile, il effleure les formes qui restent à l’état d’ébauches, la corne peut être vue comme une aile, celle qui permettra au pachyderme de s’envoler dans la mythologie et de gagner le ciel, de trouver sa juste place à côté de la constellation de la licorne, et les autres, l’ours, la girafe, l’aigle, le serpent…
Messages du lointain, traces d’écriture, de musique et de poésie
Les tablettes translucides de porcelaine de Sylvie Barbara rejouent l’écriture gravée. Le premier pas vers une trace signifiante bien avant nos ardoises tactiles. Dans la matière de l’argile, la lumière fait apparaître un message : premiers dessins de constellations et de poésie
Sylvie Pohin a confié à un jeune compositeur, Jules Carayon, la musique de l’exposition. Il y a travaillé avec un clin d’œil aux grandes sagas cinématographiques ; Il sera surprenant d’écouter le son de la gravitation, le fracas d’Héraclès frôlant la Terre, les crépitements des météorites, la musique des sphères.
Eric Amblard propose sa série de vrais-faux « Météo¬rites », photographiés en lévitation dans un faux-vrai espace.
Un atelier entre ciel et terre
Cet univers animé appelle la création numérique et la vidéo, tout naturellement. Le dessin qui s’anime aujourd’hui sur les écrans reprend le geste qui courait sur le papier, lequel réanimait les gravures sur les tablettes sumériennes. C’est le même fil qui se prolonge dans les représentations. Le « templum » latin où les devins voyaient se dessiner les signes de l’avenir n’est finalement pas si éloigné des « templates » qui présentent les donnés sur l’écran de l’ordinateur. La musique des sphères dont Pythagore avait la vision se retrouve peut être dans les suites orchestrales contemporaines… Les trois artistes s’engouffrent joyeusement dans cette continuité pour provoquer des chocs visuels, des interférences de lumière, des « photographies » au sens littéral du terme, c’est-à-dire des écritures de lumière, avec d’étonnants bricolages comme ce fil de lumière qui saute de pointillés en pointillés pour tisser ou détisser une constellation du ciel, mais qui peut passer aussi pour une robe de lune ou un calligramme à déchiffrer entre les nuées. Marianne Chanel, avec son nom, ne peut que se livrer à une couture céleste !
Pour evoquer leur travail, ces artistes se plaisent à parler de leurs jeux, de leur bac à sable premier qu’a été la création numérique : Le retour à l’origine des images animées, la scénographie de la boîte et du diorama, cette modélisation de l’atelier du peintre, le travail multi-media…Ils aiment aussi se raconter des histoires. Pour cette exposition, ils se sont lancés dans un grand jeu cosmique, comme des enfants d’Héraclite, le philosophe qui fait du monde un jeu entre des forces contraires où tout n’est que flux et fluence
HCE Galerie
“5143 Héraclès” dans le ciel de décembre à 15h, HCE Galerie
« 5143 Héraclès » est un messager des étoiles, il nous amène à regarder le ciel que nous ne voyons plus beaucoup dans notre monde urbanisé et à investir ses lointains infinis, à considérer jusqu’à la sidération ces nouveaux territoires explorés et fouillés sans relâche par les yeux de la science contemporaine, mais toujours au centre du regard de ceux qui observaient le ciel.
L’exposition donne à ces fragments du ciel, astéroïdes, météorites et autres poussières de comètes une forme qui porte encore la trace de l’informe dont elle émerge : une cohésion proche de la dislocation, une apparition soumise à l’éclipse ou l’évanescence, un épanouissement de couleur à la limite de l’évanouissement, des enveloppes et des surfaces veinées et striées par cette course effrénée dans l’espace temps, des mouvements à l’échelle des turbulences de cette matière sombre de l’univers. Autant de découpes du ciel, entre illusion et réalité qui se stabilisent en territoires de pensée, de mots et d’images, et aussi de désir, dans la mesure où le désir est bien un mouvement de dé-sidération
Projeter le ciel de décembre au sein de l’exposition donnera l’occasion de traverser les constellations comme ces territoires de pensée, ces espaces où les dénominations ont glissé du grec au latin, à l’arabe et s’ouvrent au patrimoine universel pour approcher des objets célestes toujours nouveaux. On s’oriente dans le firmament en suivant les légendes et récits mythologiques qui donnaient le meilleur fil pour se retrouver dans cet apparent chaos. Le ciel garde aussi la mémoire de ceux qui ont passé leur vie à l’interroger, à calculer des positions astrales et à élaborer des modèles cosmiques, souvent au péril de leur vie. Voilà une excursion lointaine sous l’égide de Camille Flammarion, entre science et poésie, modernité et tradition, pour être au plus près des œuvres de cette exposition.
HCE Galerie
Le livre d’artiste s’invite à 5143 Heracles
Quel subjectile pouvait porter le livre peint où Sylvie Pohin voulait laisser libre cours à ses suggestions du ciel ? C’est finalement de la toile de décor de théâtre, en double épaisseur et infroissable, souple et rigide à la fois, qu’elle a trouvée pour planter son théâtre de nébuleuses et faire défiler les rideaux de son ciel nocturne. Le livre est ouvert : on en tourne les pages empesées comme celles d’un grimoire ou d’archives météorologiques ; Ce sont d’épais feuillets d’espaces où de très anciennes marées ont déposé leur écume en longues coulées et flux de couleurs et de matière. La lumière y fermente en douceur, des rayons en filtrent et font glisser la matière vers d’autres métamorphoses. La primitive « soupe de particules » dont les cadres peinaient à contenir les remous s’épanche en nappes sur les pages du livre.
La peinture s’étale à grand coup de brosses en couches épaisses et superposées de matière, elle vient battre sur les mats et charpentes de friches industrielles, elle éclabousse des paysages sans horizons, ni échelle de grandeur qu’elle parsème de taches, hiéroglyphes ou poussière de comète.
Elle est la toile de fond de sentences mises sur orbite, inscrites au ciel, éternellement présentes parmi les étoiles. Cousues dans la bâche de coton avec un fil utilitaire mais qui semble sorti des mains des Parques ou d’Ariane, et qui sort encore du livre, les lettres se relient à l’esprit, cet autre souffle qui parcourt l’immensité du ciel. De Ptolémée à Lovecraft des formules incantatoires qui appellent à l’éternité
Anne Slacik présente un livre d’artiste sur des poèmes de Michel Butor « la parole est aux animaux fabuleux ». Elle a déjà travaillé avec l’artiste sur de tels livres et après sa mort elle continue de répondre à la requête que le poète avait faite aux peintres et sculpteurs : « ne me laissez pas seul avec mes paroles…Mes image…mes voyages … mon silence »Le livre est édité par Rémy Maure, avec une typographie de L’imprimerie Nationale. Un papier raffiné choisi comme chemin de randonnée pour des animaux de légende, Le Triton, la Chimère, le minotaure, qui s’impriment avec des caractères eux aussi de légende
Dans le ciel de cette exposition elle déplie un nouveau zodiaque pour ces vint-cinq animaux de notre imaginaire, elle y inscrit leur territoire, leur enclos céleste en utilisant toute une gamme de pigments bleus qui répondent aux nappes de Sylvie et une écriture, une invention de signes qui puisse donner une ébauche de ces gîtes ou sites dans le ciel. Les limites sont comme celles du « templum » que l’augure dessine dans le ciel de son bâton recourbé, des traces laissées par l’application d’ une règle dégoulinante de bleu. A l’intérieur de ces enclos les empreintes laissées sont bien les vestiges d’un monde fabuleux, avec des affleurements de mousses, de fleurs, de feuillages, de crustacés … à deviner dans les taches ou les brumes , les tavelures et mouillures laissées avec quelques pigments, un peu d’eau et d’autres secrets par une main très pieuse, dévouée à la poésie de Butor.
Voilà deux livres de cime, de ciel, de chemin bleu. Deux livres comme une méditation ou une incantation. N’hésitez pas à venir à HCE Galerie, à entrer un moment dans la poésie du ciel et du temps qui passe, à vivre –pourquoi pas !- des jours ou des instants « alcyoniens ».Dans la mythologie on désignait ainsi les sept jours qui précèdent et suivent le solstice d’hiver, une période de calme et de plénitude où la mer apaisait ses tempêtes pour permettre aux alcyons de faire leur nid sur les flots.
HCE Galerie