Albertine Guillaume et Fabien Léaustic
film et Photographies
Exposition du 12 au 25 octobre 2024
vernissage le 12 octobre 18h
à 17h30, présentation de la thèse de Fabien et de l’esthétique des photographies.
La thèse que Fabien Leaustic a soutenu en octobre dernier au 104 lors de la Biennale « Nemo », « la terre n’est toujours pas ronde » s’ancre bien dans les données actuelles d’une terre qui ne tourne plus rond, que la crise climatique et tous les phénomènes qui l’accompagnent ont créé une configuration nouvelle, un événement disruptif qu’il n’est plus possible d’ignorer et qui interpelle autant la pensée que l’action. Elle appelle un changement de paradigme, une nouvelle façon de penser notre rapport au monde, de retrouver une forme de compagnonnage avec la Terre et une condition terrestre que nous n’avons jamais assumée et dont nous nous sommes de plus en plus éloignés dans la modernité ; mieux il faut envisager un futur souhaitable dans une dimension « prospective », en conjuguant les plus fines ressources de la science et de l’art. C’est donc un immense défi à relever, dans cette nouvelle partie qui commence, les cartes ayant été redistribuées et les règles changées. Il n’est pas évident de la gagner et il est exclu de la jouer comme dans le passé.
Avec les temps modernes s’est enclenché un processus de mondialisation et le rêve de se rendre comme maître et possesseur de la nature avec tout un cortège d’acquis techniques et de progrès mais aussi de conséquences inéluctables et fatales (une exploitation déréglée des ressources de la planète, l’exploitation et l’aliénation des hommes, une explosion des inégalités et des nationalismes nauséeux…)On s’aperçoit maintenant que ce grand processus de civilisation était dès le départ voué à l’échec de manière inéluctable, que le monde est sorti de ses gonds et que nous ne savons plus où nous sommes et vers où nous orienter. Comment affronter des problèmes qui sont devenus des « hyper-objets », tellement tentaculaires et intriqués les uns dans les autres qu’on ne peut les délimiter, leur trouver un bord ?
Fabien noue des relations passionnées avec les matières, des alliances avec ces partenaires qui répondent à ses attentes, dont il a étudié et cerné dans des œuvres plastiques les propriétés et toute la panoplie des possibles : le plancton qui est à l’origine de la chaîne alimentaire et de la vie, l’argile qui ouvre un tel prisme d’utilisation qu’il avoisine notre chair et même celle des Dieux, et cette matière infiniment subtile qu’est L’ADN avec sa structure hélicoïdale qui est le signe, l’écriture, le monogramme de la vie humaine. Toute une thèse pour illuminer ces matières et faire le récit de ses œuvres qui sont comme la traduction de cette mystérieuse affinité transcendantale entre le monde et la vie, entre le monde et notre esprit. A voir les œuvres de Fabien et à en lire le récit dans sa thèse, on est sensible à une matière très peu matérielle, comme un fluide à capter dans ses mouvements et circulations dans les phénomènes terrestres, qui assure la vie à la surface de la terre et l’entretient. Une matière proche de la matière grise que Duchamp rendait sensible dans ses œuvres, et devenait rose pour notre plus grand bonheur dans ses jeux avec les surréalistes, une matière très proche de l’esprit, dont elle avait été injustement séparée dans ces formes de dualismes qui conduisent insensiblement à notre perte.
Il ne le fait pas seul, il articule les savoirs disponibles et les expertises, les collaborations multiples avec des techniciens et des scientifiques, des institutions et les anthropologues qui ont conduit à élargir la sensibilité, à « partager le sensible » en favorisant auprès du public une attitude immersive et une implication, tout ce qui est nécessaire à l’avènement d’un public pour cette grande cause terrestre !
Albertine Guillaume
Elle est née en Normandie, dans le Bessin, près des plages historiques du débarquement. Elle a étudié la photographie à Paris, y a travaillé pour une galerie et un magazine, mais c’est à St Denis qu’elle revient toujours, dans ce lieu créatif qu’est la Briche, une piste d’envol pour de jeunes artistes, toujours prise dans des aller retour vers la source de son inspiration et des circulations incessantes entre ses deux pôles, la photographie et la géologie.
La falaise domine sa jeunesse et se retrouve dans son travail, minée par la mer, en menace permanente d’écroulement. Elle a grandi en effet dans une maison sur la falaise, dans une demeure précaire sans permis de construire, susceptible de disparaître avec des pans de roches, mais c’était la maison de son arrière- grand -père et de son grand -père, un musée à ciel ouvert de deux géologues pleins d’humour, des poètes et des clowns, un univers de folie familiale au bord du vide. La maison, avec tous ses éclats de pierre, de meubles, de vie, se déconstruit au rythme de l’éboulement de la falaise.
Une fois devenue photographe, elle ne s’installe pas sur la terre ferme, mais parcourt les routes de France dans un atelier mobile ; Elle vit dans des caravanes, rencontre des gens de la marge, des artistes de cirque, des gitans et se retrouve ainsi sur beaucoup de terrains sur lesquels elle exerce son œil de géologue et de photographe, elle se met à imaginer des récits de pierres. Ces blocs erratiques sont des grés emportés puis délaissés par les glaciers ; tel rocher surprenant au pied des falaises est un guetteur dont il a pris le visage ; là l’érosion a laissé des traces énigmatiques. Ses photos sont éclairées par les lueurs vagues et incertaines d’un lointain passé où la vie des pierres s’exprime par des craquements, des soupirs, des froissements qu’elle laisse entendre dans ces morceaux détachés du réel, dans ses fragments comme des pellicules emportées par le vent.
La poétique des pierres et de leurs éclats, de leurs ébats la conduit vers des mystères du même ordre accrochés aux demeures de l’homme : portes, fenêtres et meubles laissent filtrer les secrets de l’ordre familial latent, les troubles de l’inconscient, comme un mince filet de lumière rampant sous la porte. Elle se lance dans une recherche sur la topographie de l’intime, sur les traces humaines conservées par la nature, sur les indices de notre passage sur terre, les signes attestant des cycles de vie.
Cette navigation sur les mouvements et les vagues du sol qui mêle les éclats de roches et les bribes d’histoires humaines appelle le monde stable et ferme de très beaux objets, des photographies et des livres d’art, des mots de poète portés sans sombrer sur les flux érosifs du temps. Elle a appris la reliure, une activité nécessaire pour la fabrication de ses livres, mais surtout l’activité exemplaire de son existence, relier les pages volantes d’histoires glanées sous tous les vents, des fragments de vie et de pierres rencontrés dans les errances du monde, retenir et réunir les plus beaux moments.
La Falaise reste là dans sa vie de tous les jours. Il y a quelque part près de Bayeux un sémaphore à sauver. A St Denis il y a bien des enfants en errance, victimes des éboulements du monde, à réunir et à entretenir, ce qu’elle fait avec d’autres Brichous sous le chapiteau Raj’ganawak, entièrement construit par des mains bénévoles pour servir de petite école aux enfants qui ne sont pas scolarisés, assurer la promotion des cultures du monde et donner un tremplin aux acrobaties et voltiges à exécuter quand le monde va mal. Albertine tient bon sa barre au bord du vide…
HCE Galerie, mai 2018

