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La brûlure

HCE Galerie exposera l’oeuvre de Sarah Chisholm le 1er juin 2024

vernissage le samedi 1er juin à partir de 17h et toute la nuit: HCE est inscrite dans la programmation de la Nuit Blanche à St Denis

Sarah Chisholm travaille entre objets trouvés, tissage et son pour créer des sculptures et des installations qui explorent l’impact des humains sur la planète et les complexités vécues par les femmes en matière d’indépendance, de fertilité et de vieillissement. Dans cette installation, deux sculptures tissées en 3D ‘Portrait d’une femme en feu’ et ‘Portrait d’un pays en feu’ s’affrontent, réunissant deux expériences significatives de la vie de l’artiste.

‘Portrait d’un pays en feu’ remonte à octobre 2019, un an après que l’artiste et sa famille ont quitté l’Australie pour Saint Denis – pour ce qui devait être une année sabbatique. Quelques mois seulement avant l’arrivée du Covid, le plus grand incendie enregistré en Australie a ravagé la région où l’artiste et sa famille vivaient et travaillaient – le pays Worimi – sur la côte nord de l’Australie. Au-delà de la dévastation de ces incendies, la région a connu depuis de nouveaux incendies et deux inondations majeures. De nombreux biens de l’artiste ont été détruits par les inondations, y compris la majorité de ses photos d’avant l’ère numérique.

‘Portrait d’une femme en feu’ remonte à plus d’une décennie, lorsque l’artiste a ressenti une brûlure au visage qui a conduit à un diagnostic indiquant une fin brutale de la fertilité. À l’approche de la quarantaine, ce fut un choc qui l’a conduit à des rendez-vous médicaux ambigus et à un parcours complexe à travers une fenêtre de fertilité qui se réduisait rapidement. Cette expérience a ouvert la porte à de nombreuses histoires cachées de femmes et à leurs diverses relations avec l’identité et la reproduction. Et ainsi, l’image de la deuxième sculpture est arrivée. Fait intéressant, alors que l’artiste tissait l’utérus vide pour terminer cette œuvre en octobre 2023, elle s’est fait retirer l’utérus en France à titre de mesure de prévention du cancer.

Aujourd’hui âgée de 50 ans, l’artiste ressent les cicatrices des combats de la vie, mais aussi une puissance et libération qui viennent du vieillissement. Ces œuvres évoquent des sujets lourds, tout en se parlant de manière ludique, y compris des liens vers des matériaux, les personnes et les lieux avec lesquels l’artiste s’est connecté au cours de ses 6 années à Saint Denis.

https://sarahchisholm.blogspot.com

Sarah Chisholm est une artiste australienne. Elle est venue à St Denis il y a six ans pour une année sabbatique et s’est tellement attachée à ce territoire qu’elle y est restée. Dans une installation mettant en scène deux très grandes robes tissées en laine sur fond de vidéos, l’une évoquant les grands feux qui ont ravagé l’Australie et l’autre les remous créatifs d’un corps de femme, elle concentre le plus intime de son expérience et déploie la trame d’un récit spéculatif, scandé par ses troubles physiologiques personnels d’un côté et de l’autre la terre en feu. Partout ça brûle !

Le tissage de ses deux robes, deux portraits d’une femme en feu, est une activité réparatrice hautement symbolique du rapport au monde d’une femme en prise avec sa propre vie et les événements terrifiants du moment : la robe est le vêtement originaire qui met à l’extérieur la sensation que le corps a de lui-même et de ses secrets, l’abri paisible pour être au plus près de soi, la courbe enveloppante de ses rêves et de ses voyages ; notre rapport au monde est à l’instar du textile, il est noué, brodé, tricoté des nombreux fils à rassembler, à renouer. Elle s’évide, elle s’évase et fume avec allégresse, elle est l’esprit dont les volutes rejoignent cette Terre que nous croyons connaître et que nous avons si maltraitée !

 Cette exposition explicite un nouveau paradigme de rapport au monde, une terre à réparer avec un esprit de femme qui n’est pas réservé au genre féminin, qui vient après les ruines  et fait avec, en connectant tous les éléments de l’expérience pour y libérer  les interstices du possible, avec les lieux découverts et les personnes rencontrées sur le territoire : Halage sur l’île Saint-Denis qui crée du compost et répare les terres polluées, l’école d’art de St Denis, ses ateliers de la Briche et Christofle, les nombreux ami-es… Sarah incarne pendant trois semaines à HCE Galerie l’esprit de création de ce territoire et le nouveau sens de la terre.

Cet esprit de la terre n’est pas de l’imaginaire, elle le rencontre et en fait l’expérience passionnante dans l’association halage à la pointe de l’île Saint Denis, un monde tout à fait surprenant dans un interstice de la région parisienne : on y  répare la terre polluée, on la recycle en vue de futures utilisations ; des gens sans emploi et sans horizon habitent à nouveau un monde en cultivant des fleurs ; on y fabrique du compost avec un sens qui tient de l’alchimie et de la magie en transformant des déchets, des détritus en ressources qui relancent le cycle de la vie. Le compost devient le symbole de l’entrelacement symbiotique des vivants, humains et non humains, de la création et de la destruction, du cycle qui se perpétue entre vie et mort. Sarah a tenu à capter l’énergie de cette force régénérante et son esprit subtil exhalé de sa robe comme d’une cheminée.

Le mot, dans sa morphologie, est d’ailleurs tout à fait extraordinaire. Les féministes américaines y ont identifié les deux prépositions significatives de notre situation actuelle dans le monde : cum-post, avec et après. Nous vivons après la modernité, après les catastrophes qu’elle a laissées, une planète pillée est exploitée sans limite, un imaginaire dévasté, après le covid, son avatar le plus présent, et nous devons faire avec tout cela, en nous interconnectant avec tous ceux qui dans leur domaine s’en sentent responsables, c’est-à-dire capables d’y répondre dans une position spéculative. L’accroche au compost est une façon de relier notre humanité à l’humus, au sol originaire de notre planète Terre, à sa peau qui la recouvre comme la peau respire entre notre corps et le vaste monde, toutes les deux étant menacées et affectées par les cataclysmes actuels et la carence de la pensée et de l’imagination à prendre soin de soi et de la terre.

Avec cet esprit de la terre qui anime cette installation, brûle et s’exhale en fumée de la robe, Sarah est bien proche de Rosalinde, l’héroïne de Shakespeare dans  Comme il vous plaira, qui déploie tout le feu de l’esprit pour retrouver le monde dont elle a été injustement bannie. « Fermez les portes sur l’esprit de la femme et il s’échappera par la fenêtre. Fermez la fenêtre et il s’échappera par le trou de la serrure. Bouchez la serrure et il s’envolera avec la fumée par la cheminée »( Acte IV). Il nous faudrait bien des forêts d’Ardenne, ardentes et libres, où l’esprit délie les bouches et donne à boire des nouvelles rafraichissantes du monde, ouvre des orifices surprenants pour y circuler- comme dans cette installation- pour retrouver la certitude de vivre chez soi dans le monde et sur terre, en véritables êtres terrestres.

Bienvenue sur la Terre de Sarah Chisholm et son installation « apotropaïque » -si je me permets d’utiliser ce mot savant : qui protège et met en sécurité, éloigne démons et esprits malins…

HCE Galerie / Georges Quidet

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