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la sculpture intérieure

Flavien Desray, dit “Etau

Exposition du 19 juillet au 11 août 2024

vernissage le vendredi 19 juillet à 18h

La sculpture intérieure

Etau, entre sport et art

Flavien Desray mène de front une carrière de gymnaste et une carrière d’artiste, de plasticien du bois, ce qui est déjà très étonnant, mais ce qui est encore plus prenant et surprenant, c’est la rencontre qu’il instaure entre ces deux pratiques et leurs secrètes affinités.

L’artiste a placé au centre de son exposition une sculpture qui porte le nom d’une figure imposée en gymnastique , « half in full out », deux cadres de bois en rotation dans deux plans, un vertical et un horizontal, simulant dans la conjugaison de leur mouvement et par un effet hypnotique une sphère parfaite ; Par ailleurs, une sculpture capable de produire par rotomoulage, d’autres sculptures, des disques de plâtre d’un mélange parfait, des poids plumes d’une finesse extraordinaire, des pièces pour un entraînement mental dont cette exposition pourra donner une idée.

Les exercices aux agrès, barres et anneaux imposent au corps et à la matière vivante qui le constitue des contraintes qui paraissent exorbitantes mais qui paradoxalement libèrent les puissances du corps et des enchaînements de mouvements inouïs ; Arrêté, en équilibre, le corps est comme une sculpture maintenant en suspens toute une chorégraphie de vrilles, torsions et rotations.

Travaillé par les mains de l’artiste et ses outils qui en prolonge et multiplie l’ingéniosité, le bois est une matière vivante qui aspire à sortir de sa « rainure » et des différents façonnages auxquels il se prête pour servir aux usages de l’homme. De la forêt où il vécut, il garde une forme de souplesse et de flexibilité primitives à entendre et comprendre, susceptibles de se manifester en prouesses et exploits quasi sportifs, tout comme en formules poétiques.

Au centre de cette affinité entre l’art et le sport, Flavien s’est trouvé son nom d’artiste : « Etau » : l’outil suprême de ses chantiers au service de la main et de ses autres outils, son point d’Archimède, le cœur du travail manuel, lorsque la main serre les agrès ou lorsqu’elle enchante le bois. Ses installations articulent différentes pièces mises en tension dans des champs de forces propres à un art sensible aux matières et aux outils qui ont leur magie souveraine. Elles se déploient dans un espace de solennité ou de sacralité originaires, comme un rituel, un service rendu au bois, un office, si on se souvient que ce mot est un dérivé de œuvre, dans la grande famille du latin ops : l’abondance, la fécondité, la prospérité d’un corps inspiré et donc aspiré par et vers des formes acrobatiques et des intensités de vie à découvrir : la sculpture intérieure d’un jeune homme de 29 ans, en lutte contre tous les formatages possibles imposés de l’extérieur, tout à la joie d’avoir trouvé son style, sa touche et tout ce que son geste porte en gestation.

La sculpture intérieure et ses tournures

Flavien hérite de son grand père toute une panoplie d’outils affutés et précis pour approcher la perfection, dont un étau donné en viatique et conservé sous cloche ; par son père entraineur en gymnastique artistique il a été initié à des mouvements inouïs qui ont rendu son corps plastique à des influx et des circulations de choses invisibles, de forces qui se nouent et se dénouent. Avec ce double héritage il s’est fait une main d’artiste au cours d’une vraie formation, c’est-à-dire une mise en forme de soi : on répète depuis Aristote que l’homme a fait la main en l’arrachant à la nature et à l’ustensilité, mais qu’en retour la main a fait l’homme. C’est ce retour, cette réciprocité que l’artiste rend captivante en élaborant les outils et les subtiles sublimations qu’ils ont subies pour sculpter cette image intérieure à la couture de l’âme et du corps, pas tout à fait du corps et pas encore une âme

Une exposition de Flavien, c’est toujours un peu comme la célébration d’un mystère ou d’une merveille très simple, à portée de la main, une variation sur les accords si subtils entre la main et ses outils qu’ils appellent un au-delà du travail manuel, un dépassement de la perfection de la main et de ses outils vers une autre visée, l’idée antique d’une sculpture intérieure. Une idée à ressaisir dans son style même, dans son toucher des matières, dans sa « touche », le moment où la main éveille une forme dans la matière et introduit dans l’œuvre une vie de plénitude, une série de notes vibrantes, invisibles et touchantes

Cela commence avec une machine qui semble sortie de l’imagination de Dédale : « half in full out », un codage technique en gymnastique pour un mouvement complexe de double rotation du corps et une torsion. Le dispositif reconstruit ce mouvement avec la rotation solidaire de deux carrés de bois, l’un dans un plan vertical et l’autre dans un plan horizontal. Cet enchaînement envoûtant produit une sphère de manière hypnotique.

Solidement fixée au mur par des supports en fer usinés pour cette exposition, la machine vient à la rencontre du regard, elle sort littéralement du mur pour orchestrer dans l’espace ce qu’elle a pu produire ou qui émane de sa présence : des coquilles de plâtre tellement fines et d’une immatérielle fragilité, une série de poids pour haltères soudés en oloïdes, un autoportrait de l’artiste en « étau ». Chaque objet, au sol comme au mur joue sa partition dans sa bulle de silence, vibre dans le vide vers un au-delà de lui-même, comme si l’opération qui l’a produit ouvrait sur une intériorité secrète en affinité avec toutes les autres pièces de l’exposition…

Ainsi campée, elle est d’une clarté toute mécanique, elle ne cache rien, elle est toute en agencements, rouages savants et transmissions pas plus compliquées que celles d’une chaîne de bicyclette, et pourtant elle garde une opacité impénétrable, un secret à percer et ce halo de mystère qui a guidé la main de son artisan, artiste et démiurge. Une machine si bien tournée et qui tourne si bien qu’elle en devient énigmatique dans ses imachinations, dans son imaginaire de machine: Un tour d’écrou se fait dans le regard, semblable à celui opéré par le romancier quand il fait basculer son récit dans une autre dimension, nouvelle et inconnue, un embrayage sur le mot « tour » : Cette machine est un tour, voisin de celui du potier ou du fraiseur, celui qui permet de façonner les œuvres en leur donnant une « tournure »,une de celles qui font passer le souffle de l’infini dans le geste de l’artiste, dans ce qui l’anime et lui échappe aussi, dans ce qui est dans ses mains et au-delà de ces mains : la sculpture de soi, la visée ultime du travail des mains quand ce sont celles d’un artiste et d’un gymnaste.

Ce merveilleux tour a un réel pouvoir de production : en plaçant au centre du dispositif un moule à plâtre Flavien obtient un mélange parfaitement homogène et des coquilles de quelques millimètres d’épaisseur, des poids plume et des haltères éthérées réservées à un entraînement singulier dans le monde intérieur, celui des forces de création ; un exercice difficile, où il faut « essuyer bien des plâtres » et recommencer, ce qu’atteste ce tas de fragments et de chutes au pied de la machine.

Mais il a un autre pouvoir tout aussi efficace, celui d’accrocher vivement le regard et de solliciter une attitude immersive, de capter l’attention et de « tourner » autrement notre esprit pour qu’il reste en empathie avec lui, dans un état voisin de l’hypnose. On entre dans la machine, dans sa forme énigmatique et ses mouvements de rotation et de torsion en simulant de l’intérieur des prouesses dont on n’a aucune compétence et aucune disposition pour les accomplir, en se laissant guider par des indicateurs de surface. La sphère entrevue comme une illusion d’optique, produite par la rotation de carrés, se présente alors comme une « tournure » de la sculpture intérieure en voie de formation, à l’image de « l’homme de Vitruve » de Léonard de Vinci, l’inscription dans un cercle et un carré des compétences de l’homme nouveau pendant la renaissance ; une sphère comme l’enveloppe de tous les mouvements et mouvances créatrices d’un artiste gymnaste

Le même travail immersif se poursuit avec trois sculptures de taille différente et de même inspiration, des cercles de poids échappés, détournés des centres d’entrainement et de musculation et soudés pour reproduire la structure d’un oloïde, une figure mathématique étudiée vers 1930 par le mathématicien Paul Schatz, deux cercles orthogonaux passant chacun par le centre de l’autre : une figuration du mouvement infini, qui se relance de manière continue avec un léger déhanchement. Une fois revêtu de son enveloppe convexe qui lui donne l’apparence d’une moule, il a cette propriété extraordinaire de toucher le sol par tous les points de sa surface, comme s’il était constitué d’une seule face, en contact total avec son monde. Voilà donc un bien étrange objet qui au même titre que la bande Moebius donne une idée de l’infini et s’intègre dans la géométrie de la sculpture intérieure avec son mouvement sans cesse relancé et sa surface de contact avec le monde environnant, ce tact indéfiniment étendu à cette zone où il est sensible de part en part, touché tout en restant intact.

 On se plait à rêver de la tournure que pourraient prendre les choses confiées à cet ultime pouvoir des mains et à leur sens intime de la géométrie. Un étau qui serre au plus profond du cœur ce que nous avons de plus précieux, des coins à fendre l’âme, des marteaux à enfoncer des idées bien frappantes et frappées : On est bien dans l’atelier de « Etau », là où se rassemblent les outils de votre accomplissement en sculpture intérieure.

HCE / Georges Quidet 1er septembre

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