curatrice: Valentine Mahé-Clémot
samedi 5 juin-samedi 12 juin
vernissage samedi 5 juin 18h
Performances samedi 5 juin et vendredi 11 juin à partir de 19h
Oeuvres de: Beatriz Arana, Maya Benarouch, Giuditta Di Cataldi, Noa Dorbeau, Louis Gueye, Paul Gueye, Céleste Herbaux, Adèle Jacquier, Victoire Marion-Moneger, Céleste Moneger, Thelma Pourias
de métaphores en métamorphoses: C’est par le biais de la marionnette dans tous ses états que les jeunes artistes de cette exposition plurielle s’expriment sur l’enfermement, la manipulation, les inégalités
Pourquoi la marionnette ?
J’avais l’idée de me tourner vers un art où l’humain me semblait dépassé, dans l’impossibilité ou la difficulté de se mouvoir ou de s’exprimer par lui-même. Bien sûr, la marionnette s’est imposée à moi : en tant que représentation de ce que je repousse, de ce qui m’effraie. Elle s’est imposée à moi dans la rigidité et l’absence de coeur et d’âme que j’y voyais. Mais, elle s’est aussi, et surtout, imposée à moi comme un sujet sur lequel il me semblait nécessaire de s’exprimer.
Pour moi, la marionnette est, en effet, une figure de la mort, ou de l’illusion de la vie ; en tout cas, une figure du vivant qui ne l’est pas, ou d’un objet inanimé qui s’anime, de surcroît selon la volonté d’autrui : je la situe donc entre mouvement imposé, mouvement saccadé, rigidité et fixité… toujours animée par des fils qui la guident et la retiennent donc, dans une absence de liberté intrinsèque.
« Tout ce qui a l’apparence de la vie sans avoir la vie, (fait) appel à des puissances extraordinaires. (…) L’effroi qu’inspirent ces êtres semblables à nous mais visiblement pourvus d’une âme morte, vient-il de ce qu’ils sont absolument privés de mystère ? » : le dramaturge belge Maurice Maeterlinck, figure phare du mouvement symboliste, promeut un théâtre d’androïdes, et met en avant la puissance extraordinaire de tout ce qui permet de « donner vie » à ce qui n’est pas en vie.
La marionnette, en tant que métaphore de tout ce qui permet, au niveau artistique, de donner vie à ce qui n’est pas vivant, de rendre humaine une oeuvre qui ne l’est pas, d’envoûter, d’effrayer mais d’attirer… L’oeuvre d’art « marionnette », c’est-à-dire une représentation désarticulée du mouvement mis en scène, de la manipulation dans tous les sens du terme, de l’animation de la figure et/ou de l’objet par des fils invisibles ou non…
Ma discussion avec les artistes autour du sujet, m’a très vite confirmé l’axe que je voulais prendre dans le traitement de la marionnette. En effet, ils ont tous appréhendé la marionnette comme objet de dénonciation et de manipulation. Dès leurs premières idées d’oeuvres, je me suis aperçue d’une cohérence, d’un lien, d’un fil qui relie tous les travaux. Très vite, ils m’ont confortée dans l’idée de me pencher sur ce que connote la marionnette et non pas ce qu’elle est au sens littéral.
La marionnette, de métaphores en synonymes, nous a permis de jouer sémantiquement et d’adapter cette exposition à tout public.
Ma rencontre avec Suzanne Hubert et Georges Quidet, les galeristes de la galerie HCE, m’a permis de voir mon projet se réaliser. La galerie HCE a bien trouvé son nom : Here Comes Everybody ; elle se trouve en effet proche de l’université Paris 8, et proche des valeurs qu’incarnent tant cette faculté que mon projet : démocratisation de l’art, pluridisciplinarité, coopération… Oui, HCE dans le plus beau sens de l’expression. Dans cette époque liberticide et incertaine, la jeunesse et la culture sont tout particulièrement touchées. Ainsi, la jeunesse qu’incarnent les artistes de l’exposition, offre sa vision d’une époque en proie au déséquilibre qui tend à l’effondrement. Par leurs créations, comme un cri, ils reprennent le contrôle sur une époque qui l’a retiré. En réalité, tout le monde est touché.
Entre manipulation des corps, des esprits, du non-humain, entre enfermement et précarité, j’ai voulu que l’artiste devienne le/la marionnettiste, et que son travail devienne la marionnette de sa pensée.
Mais qui est la marionnette, qui est le/la marionnettiste ? Qui tire les fils
Valentine Mahé-Clémot, commissaire d’exposition
LA MARIONNETTE
Elle est assise, là. Face à la fenêtre, elle semble regarder la lune, une lueur de désespoir dans ses yeux vitreux. Elle attend tristement de savoir pourquoi sa vie est comme ça. Elle attend de recevoir un signe venu du ciel lui permettant de s’assoir sur des certitudes plutôt que de regarder les étoiles la
tête pleine de doutes. Pourquoi ne bouge-t-elle pas ? Pourquoi reste-t-elle plantée là ? Réagis, fais quelque chose : voilà ce qu’on aurait voulu lui dire.
Pourquoi ne fais-tu rien ? Te sens-tu inutile, incapable, impuissante ?
Voilà ce que le monde a fait de toi. Une pauvre chose à qui l’on a donné tout juste de quoi exister. Bien sûr que tu ne bouges pas. Bien sûr que tu ne fais rien. Que voudrais-tu faire en fin de compte, si ce n’est poursuivre la route que l’on a goudronnée pour toi afin de te donner l’illusion qu’on en a quelque chose à foutre que tu existes. Certains soirs, tu as brandi bien haut tes bras pour protester contre tout ce qui ne devrait pas être — mais qui est — sous prétexte que rien ne peut changer. Ils rient. Pour eux, tu n’es qu’un spectacle.
Ils écoutent les paroles que tu scandes avec enthousiasme, avec énergie et dévotion, mais ils n’entendent pas le cri de révolte, la rage qui t’anime alors :« Gronde Et Proteste Pour Entendre Triompher Ton Ombre Parfaitement Innocente, Naïve, Oeuvrant Contre Ces Hypocrites Imposteurs Olympiens. »
Ils n’attendent que ta contribution à la croissance de leur pouvoir et de voir tous ceux qu’ils exploitent s’agiter pour finalement retrouver la glaçante chaleur de leur routine. Se sentent-ils inaccessibles ? Tu ne pouvais plus rester sans rien faire, sans vraiment chercher un moyen de faire changer les choses.
Alors tu t’es levée, tu as pris les armes, tu as voulu affronter toutes ces injustices, consciente que la violence pouvait enfin faire vaciller leur arrogance, sortir les tiens de i’ignorance. Tu as voulu que tout le monde ouvre les yeux. Beaucoup ont cru être à la hauteur de tes valeurs, être prêts à assumer les innombrables sacrifices que demandait ce soulèvement.
L’effondrement : voilà où leur bêtise nous mène. Mais malgré son échec, le système nous berne et nous berce de rêves et de valeurs travesties par la perversion de nos leaders qui s’imposent comme élite ; mais une élite du capital et non de la morale. Tu as même fini par éprouver un semblant
d’admiration pour un système si bien construit que même la majorité opprimée est écrasée par le poids de toutes leurs promesses, de tous leurs mensonges. Alors, peu à peu, tu t’es retrouvée seule, abandonnée par tous ceux qui devaient t’aider. Ils ont tous cédé à la pression, ont tous été rattrapés
par les liens qui les retiennent, tous enchaînés à leurs manipulateurs et au monde qu’ils ont bâti.
Et les voilà qui rient à nouveau. Ils rient de ta chute. Toi, tu ne demandes qu’à revenir, plus forte de ton échec. Mais tu leur as fait peur, tu ne les divertis plus, et même ceux qui t’ont suivie te tournent le dos maintenant. Ils continuent de marcher et de protester, sous le regard amusé de leurs marionnettistes, tant de manifestations pacifistes qui n’ébranlent nullement leur sérénité. Ils
jouent avec et font leur manège ridicule pour amadouer les résistants, les indociles. Tous les changements sont accordés du moment qu’ils ne troublent en rien la dextérité de leurs mains sur les fils.
Tu es assise là. Face à la fenêtre, tu sembles regarder la lune. Est-ce la fin, as-tu fini de te battre ? Regarde, ton corps redevient bouts de bois. Ton coeur ralentit. Réveille-toi, tu ne peux pas mourir maintenant ! Arrache tes fils !Écris, peins, sculpte, chante, danse, hurle si tu veux, mais ne te laisse pas envahir par le désespoir. Ne te laisse pas mourir. D’abord, raconte-nous ton histoire
.
La Marionnette, écrit par Paul Gueye, repris lors d’une performance théâtrale pour
l’exposition par Thelma Pourias
Naissance
— J’ai très vite su qu’avant même ma venue au monde, je commençais déjà à acquérir. Je ne sais même pas si ce que je suis aujourd’hui n’est pas seulement le fruit d’une évolution logique. Soit par ce que j’ai appris et accepté, soit par ce que j’ai appris et rejeté.
Sans titre, Maya Benarouch, sculpture
Enfance
— Je crois que ma première véritable remise en question remonte aux premières années de ma vie. Je m’amusais avec les jouets qu’on m’avait achetés et j’ai remarqué que je ne leur ressemblais que très peu.
J’ai alors voulu m’habiller comme les poupées que j’aimais, me coiffer comme elles. Dans le miroir, j’essayais d’y voir leur reflet. Mais non. J’avais beau me mettre dans toutes les positions possibles et imaginables, rien n’y faisait.
I got the same hair as Barbie I got one hair missing, Victoire Marion-Monéger, installation et performance interprétée par Giuditta Di Cataldi
Adolescence
— Comme beaucoup, mon adolescence a été l’une des périodes les plus instables de ma vie. Je ne comprenais ni mon corps, ni mes pensées, ni mes émotions. Je commençais à avoir des avis sur à peu près tout. Mais avec du recul, je pense bien qu’ils n’étaient qu’une savante alchimie des avis des autres. Je me construisais une identité basée sur l’image que je recevais du monde.
Teens, Noa Dorbeau, série de photographies
Âge adulte
— J’ai fini par m’affirmer, m’approprier un style, penser par moi-même.
–Mais je me suis rendu compte de la manière dont le monde nous contenait dans des normes installées. J’ai remarqué certaines aberrations récurrentes, je vivais des agressions systématiques comme si elles avaient été programmées pour exister. À mesure que je me stabilisais, c’est le
monde qui semblait se déséquilibrer davantage. Je remarquais que nous collions tous à un stéréotype qui, souvent, définissait notre place dans la société. C’est à ce moment de ma vie qu’une question fondamentale m’est apparue : suis-je vraiment maîtresse de ma vie ?
I’m fine thank you and you ? I’m fine thank you, Céleste Monéger, sculpture
Rapport au monde
— Au-delà de la maîtrise de ma propre vie, je me suis penchée sur la maîtrise que les hommes pensent avoir sur ce qui les entoure. Mais ils ne se rendent pas compte à quel point ils en sont dépendants. Ils ne sont, en réalité, que des pantins aveuglés par l’illusion de leur toute puissance.
Antagoniste, Adèle Jacquier, installation
Enfermement
— Tous les hommes ne sont pas ainsi. Ou, du moins, tous ne peuvent ou ne veulent pas forcément l’être. Oubliés, exilés, prisonniers d’un ordre préétabli, certains se débattent dans ce système capitaliste. Mais des voix s’élèvent, les foules se lèvent, sortent de l’ombre et se soulèvent pour tenter
d’arracher les liens qui les retiennent attachés en périphérie d’un sommet inaccessible.
Les Voix de la cité Charles Hermite, Beatriz Arana, installation
Routine
— Mais la route est barrée. Aucun passage n’est permis. Elle ramène toujours au même point, maintenant fermement tous les protestataires dans une routine ne laissant aucune marge de manoeuvre. Ils se retrouvent piégés dans la spirale infernale de la survie. « Nos mouvements sont dictés par des conventions, des traditions, des normes qui nous dépassent et conditionnent notre quotidien, notre rapport au monde ». Faut-il nécessairement prendre des risques ? Faut-il transgresser l’ordre ?
Still flesh/moving soul, Céleste Herbaux, performance
Déchaînement
— Et toi, ne ressens-tu pas parfois une envie de tout casser ? Casser les codes, crier, cogner, capituler, crever, créer ? Finalement, il n’y a jamais plus d’espoir qu’avant le coup de crayon. Il y a tout à faire. Déchaînons nous.
Route to liberation, « Collection Marionnettes », Louis Gueye